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vendredi 9 août 2013

Mille milliards de dollars

la crise des subprimes :
Un petit retour/détour par la conspiration et le complot au cinéma. Cela fait un petit temps que je devais faire ce petit papier sur le complot dans le cinéma français, mais voilà … Alors, en attendant, voici un film qui illustre assez bien le propos.

Sorti en salle en 1982, “Mille milliards de dollars” est un film d’Henri Verneuil, porté par Patrick Dewaere. Précurseur dans la catégorie “conspiration économique”, le film prend aujourd’hui un tour très actuel, malgré son coté un peu daté. S’il a été un peu dépassé par les films du même genre qui l’ont suivi, ceux-ci n’auraient pas été les mêmes sans lui. L’histoire, en deux mots, suit un journaliste, Paul Kerjean, interprété par Dewaere, qui remonte la piste fournie par un informateur anonyme jusqu’à un scandale impliquant un industriel français. Attention aux spoilers, à partir d’ici: Celui-ci aurait, contre pot de vin, vendu au rabais une entreprise française à la multinationale américaine GTI. L’article est publié, mais l’industriel mis en cause est retrouvé mort, avec toutes les apparences d’un suicide. Kerjean soupçonne néanmoins un meurtre, et comprends qu’il a été manipulé pour faciliter ce meurtre et son déguisement en suicide. Aidé à contrecœur par la maîtresse de l’industriel, Laura, il va reprendre l’enquête à zéro et découvrir que l’industriel assassiné était en train de constituer un dossier contre la société GTI. Échappant de peu à la mort, Paul doit fuir en province pour rédiger son article, qu’il intitule “Mille milliards de dollars”.
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Le film correspond assez bien à ce qu’on a nommé le cinéma “naïf et roué” de Verneuil. Contrairement à “I comme Icare”, son film précédent, qui évoquait lui aussi une conspiration, inspirée directement par l’assassinat de JFK, et qui se terminait par une conclusion plutôt pessimiste, “Mille milliards de dollars” se termine de manière quasiment cocasse, sur un happy end échevelé. Mais cette fin, et le suspense qui y mêne, n’est pas en soi le plus important. Le film est avant tout le prétexte à une dénonciation, celle du pouvoir des grandes compagnies transnationales, des corporations mondiales qui tiennent les économies locales en respect, et au besoin, comme ici, n’hésitent pas à recourir au meurtre pour protéger leurs intérêts. Il est aussi l’occasion de rappeler, ou plutôt à l’époque, de dénoncer un complot, réel celui-ci, dont on ne parlait pas encore beaucoup alors: la collusion des entreprises américaines avec l’Allemagne Nazie ( avant l’entrée en guerre des Etats-Unis, en tout cas ) et leurs investissements dans la future machine de guerre hitlérienne. Le scénario fait de ce film un pamphlet anti-mondialisation avant la lettre. Et c’est ce qui rend le film assez amusant par certains côtés. En effet comment expliquer la mondialisation en 1982? Le terme lui-même venait de naître (dans cette acception-là en tout cas) et n’existait pas encore dans l’imaginaire collectif comme le raccourci qu’il est de nos jours. Il fallait alors tout expliquer, partir de zéro et exposer, de manière cinématographique, la globalisation de l’économie, l’éclatement des frontières nationales, l’hégémonie des grandes corporations, etc. Il fallait représenter, en images, “l’accroissement des mouvements de biens, de services, de main-d’œuvre, de technologie et de capital à l’échelle internationale”. Or, on ne savait pas encore bien à cette époque manipuler les chiffres à l’écran, (encore moins qu’aujourd’hui je veux dire). On ne disposait pas encore de l’astuce que représenteront plus tard les graphiques informatiques, les animations, le PowerPoint, …
Les grandes corporations anonymes devait donc être personnalisées, incarnées dans la personne d’un “patron”, pas encore dans un conseil d’administration, ou un “boards of investors”, mais bien un “patron” à l’ancienne, dur, cruel, sans pitié, charismatique aussi, et tenant son personnel en main à la fois par son charme, sa puissance et son pouvoir tyrannique. Il exige par exemple que toutes les réunions qu’il préside se passe à l’heure de New-York, quel que soit le lieu où elle se passe. Les responsables locaux sont ainsi convoqués au beau milieu de la nuit, pour l’accommoder. Le patron, interprété par Mel Ferrer, est bien évidemment américain ; la firme décrite comme multinationale est cependant américaine avant tout. La mondialisation, à cette époque, signifie principalement l’invasion. On n’en est pas encore aux délocalisations, ni aux regroupements intempestifs dans des semi-monopoles internes. Si l’on veut faire passer le message d’alarme concernant une économie globalisée, il faut le présenter selon un autre angle, celui de la conquête par les Etats-unis, celui de la razzia, de l’incursion étrangère. Le réflexe premier, contre cette menace, est quasiment identitaire, il est protectionniste et nationaliste. La société convoitée par le groupe GTI s’appelait « électronique de France » et ce n’est pas un hasard. C’est un patrimoine qui est menacé, l’ennemi est aux portes. Le dossier monté par l’industriel assassiné devait justement servir à cela : protéger sa société du phagocytage américain. Pour le public de l’époque comme pour son conseil d’administration, il faut en rajouter une couche : la globalisation est encore alors une menace trop jeune, trop abstraite. Ses dangers ne sont pas encore connus, ses répercussions sont difficiles à imaginer. Il fallait donc passer par la narration et par la plus efficace des angoisses : la conspiration.
Mille milliards de dollars représentait en 1968 le chiffre d’affaire des 6000 plus grandes sociétés. En 1982, cette somme, calculée comme équivalent une fois et demi la richesse annuelle de la France, constituait le chiffre d’affaire de seulement 30 des plus puissantes sociétés multinationales.
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